Culture Sanglier

Par Pascal Durantel

Coronavirus Vers une autre organisation de la chasse au sanglier ?

A l’heure où nous écrivons ces lignes, les chasseurs sont confinés. Les battues de mars ont été en partie annulées, et il n’est pas certain que les prélèvements accordés sous certaines conditions ne suffisent à réduire les dégâts commis sur les semis de maïs en cours. Etat des lieux, et solutions envisageables pour l’organisation de nos futures battues.
Six mois, un an, deux ans ? Nul ne sait combien de temps encore circulera cette saleté de virus. Une chose est certaine, c’est que nous observons déjà les premiers effets du confinement des humains sur la faune sauvage. Celle-ci est devenue plus familière, et des sangliers se baladent plus que jamais en plein jour. Les dégâts, commis notamment sur les semis de maïs risquent d’exploser, d’autant qu’un hiver globalement assez doux laisse craindre en maints endroits une remontée des populations. Il va donc bien falloir un jour ou l’autre nous remettre à chasser la bête noire, pour au moins éviter une envolée des factures relatives aux déprédations commises sur les cultures.
Des solutions existent, auxquelles ont déjà songé des louvetiers et chasseurs. Elles supposent de revoir nos stratégies, qui devront prendre en compte les fameux préceptes de distanciation sociale et de gestes barrières. En l’état actuel de la situation, nous devons envisager d’organiser autrement nos chasses collectives habituellement placées sous le signe du partage ainsi que de la convivialité et qui demeurent malgré tout le moyen le plus efficace de réguler les populations.

Conséquences d’une absence de chasse en mars

Selon les régions, chasseurs et agriculteurs sont plus ou moins optimistes. « A ce stade, nous dit Gérard Bedarida, président de l’Association nationale des chasseurs de grand gibier, le fait que la chasse en mars ait été amputée de 15 jours en raison du confinement ne change pas fondamentalement les données du problème, car ce prolongement printanier constitue dans de nombreux départements une nouvelle mesure. Selon notre expert, même les tirs d’été n’exercent pas une influence déterminante sur la dynamique des populations dans de nombreux départements dont le sien, celui des Yvelines, où les prélèvements estivaux n’excèdent guère 100 à 200 animaux. Prolonger les tirs du 1ier au 31 mars constitue certes une bonne réponse, mais je préfère alors des actions individuelles ciblées, destinées à protéger ponctuellement des cultures à risques aux pratiques collectives ».
Ainsi, dans d’autres départements où les dégâts peuvent être importants, cas du Loir et Cher par exemple, l’impact d’une chasse collective en mars, exercice récent et peu pratiqué, a concerné surtout les zones sensibles. Son impact sur les suidés a été marginal avec des prélèvements d’environ 150 animaux sur les 20 000 figurant au tableau total annuel. La mesure a surtout permis de sortir les chiens et de continuer à s’amuser en tirant pourquoi pas quelques renards, mais pas de réduire les populations de manière significative. Quant à l’Allier où la mesure n’a été appliquée que durant une saison, quelques dizaines d’individus tout au plus ont été prélevés. A l’exception de cette année où la saison fut rognée, ils s’agissait de pratiques de destruction réservées aux agriculteurs ou à leurs délégataires subissant des dégâts, et qui étaient détenteurs d’un plan de chasse

Quelques bénéficiaires de la chasse de mars

Dans d’autres départements en revanche, comme celui du Loiret, les prélèvements, chiffrés à environ 1000-1500 animaux durant le mois de mars 2018 sur un tableau total de 13000 sangliers sont loin d’être anecdotiques. Dans le Loiret toujours, où la situation en termes de dégâts a été très préoccupante entre les mois de septembre et novembre 2018, lors de la mise en place des cultures d’hiver, le préfet a formulé le 14 janvier 2019 des recommandations et pris des dispositions destinées à renforcer la pression de chasse qui devait aussi bien sûr s’exercer en mars. Il a mobilisé tous les louvetiers du département pour organiser des battues administratives sur les zones rouges et noires subissant les plus lourds préjudices, définies par le zonage sanglier pour la saison 2018/2019.
Les actions des louvetiers ne pouvant suffire, le préfet a aussi demandé aux 19 000 chasseurs du département plus d’efforts en réalisant des battues régulières, à minima mensuelles, sur l’ensemble des territoires. Ces battues devaient mobiliser un nombre suffisant de traqueurs et de chiens pour garantir leur efficacité. Sur les territoires chassés, aucune zone ne fut considérée comme réserve, aucune consigne de tir, quantitatives ou qualitatives ne fut formulée, et les chasseurs furent sommés d’intervenir dès que la présence de sangliers était avérée sur leurs territoires. Autant dire qu’en ce mois de mars 2020, une pression de chasse réduite dans le Loiret peut laisser craindre le pire.

Conséquences d’un mois de mars 2020 tronqué

Nous notons déjà une certaines inquiétude pour la saison 2020-2021 dans certains départements dont celui des Landes. L’an passé nous dit Jean-Philippe Etcheverry, chasseur landais, nous avons prélevé 3000 sangliers en mars. Cette année et alors que les semis de maïs sont en cours, ce sont donc plusieurs centaines de sangliers qui nous aurons échappé et commettront des dégâts. Jean-Philippe pressent une explosion des populations. Même avis formulé par Didier Mazeau, louvetier dans les Landes qui prévoit une situation identique à celle observée après la tempête de 1999, et où la pression de chasse fut moindre à cause de l’encombrement des sous-bois devenus inaccessibles. Lors de ses sorties régulières vouées aux tirs de régulation sur les cultures à risques, il observe déjà de très nombreuses compagnies qui laissent augurer une explosion des populations et des dégâts. Ceci est d’autant plus vrai que personne n’est très chaud en ces temps de pandémie pour effectuer des agrainages de dissuasion… quand ils sont autorisés.
Si les plus grandes exploitations agricoles protègent désormais efficacement leurs cultures, les autres structures pourraient subir une envolée des dégâts. Même chose dans les départements de la Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin qui font l’objet d’une gestion unique en France, avec une pression de chasse qui habituellement ne se relâche pas et qui autorisent aussi, à quelques variantes près, le tir de nuit. Une régulation s’y exerce donc 24 heures sur 24, à peu près toute l’année. En réalité, l’animal ne bénéficie que d’une seule période de quiétude : du 1ier au 14 avril, et ceci seulement en forêt. En Moselle, le tir nocturne avec ou sans lampe ou encore celui pratiqué près des engins agricoles lors de la levée des récoltes permettait ainsi d’assurer 10% du prélèvement total, soit environ 2000 animaux, ce qui n’est pas négligeable. En outre, les chasseurs mosellans qui traditionnellement raccrochaient le fusil en janvier prolongeaient désormais leur saison jusqu’en mars.

L’efficacité de la battue

« Aujourd’hui (Ndlr : le 24 avril 2020), nous dit notre ami Charles Richter, la chasse en Moselle est quasi fermée. Un arrêté préfectoral contesté permet certes d’effectuer des tirs de régulation, individuellement, mais en ne prélevant que des animaux transportables à dos d’homme, c’est-à-dire ne dépassant pas les 40 kilos ».
Dans tous les cas, il va bien falloir nous adapter aux contraintes imposées par la pandémie pour éviter une envolée des dégâts qui pourrait mettre toutes nos fédérations en faillite. De nombreux chasseurs ou louvetiers réfléchissent déjà à des solutions de substitution permettant de poursuivre la pratique des chasses collectives, dans le respect des gestes barrières et de la distanciation sociale si le virus continue à circuler. Car il nous faut rappeler, et nous insistons sur cette vérité, que la battue reste le meilleur moyen de réguler ou faire baisser les populations de sangliers.
Nous en voulons pour preuve les nombreuses études relatives à l’efficacité de cette pratique dont celle réalisée dans le Bassin Genevois, à laquelle participaient deux départements français (Ain et Haute-Savoie), et deux cantons suisses limitrophes (Genève et Vaud). Ce travail a mis en lumière l’impact des battues administratives organisées côté Français, qui semblent constituer le meilleur moyen de limiter « l'effet réserve » et de réduire les effectifs. Le procédé paraît en tout cas plus efficace que la régulation effectuée côté Suisse par les tirs nocturnes et autres procédés d’effarouchement. Nous pouvons aussi citer des ratios calculés en Allemagne. Dans ce pays où la chasse est ouverte toute l’année jour et nuit, le pourcentage d’animaux prélevés en chasse individuelle ne dépasse pas 10%, contre 80% en battue.

S’adapter ou tuer la chasse

Les calculs précédents prouvent que l’option d’une ouverture toute l’année, qui se limiterait en partie à des pratiques individuelles ne réglerait pas le problème. Car ce type de chasse se résume à une action ponctuelle et ciblée destinée à limiter les dégâts, mais ne suffit pas à maîtriser une population en croissance exponentielle.
« Le vrai problème qui risque de se poser prochainement concernera donc l’organisation des battues, admet Gérard Bédarida. Elles seront forcément soumises aux contraintes sanitaires imposées par la pandémie, avec notamment la problématique de la distanciation sociale. Nous pouvons d’ores et déjà pressentir que faute de trouver des formules adaptées, ces contraintes vont réduire l’efficacité des battues. Nous risquons de perdre 20 à 30% de temps en diverses formalités administratives obligatoires. Je pense à la signature à la signature des carnets de battue et la vérification des permis. Une chose est claire : si le virus continue à circuler, il faut nous attendre à un profond bouleversement dans nos habitudes qui risque de mal être vécu par de nombreux chasseurs, en particulier dans le registre des regroupements avant et après chasse. L’impact psychologique sur une pratique collective qui se veut avant tout conviviale est certain ».
Il existe pourtant des alternatives auxquelles ont déjà songé des chasseurs qui tâchent d’anticiper cette problématique. Charles Richter évoque ainsi le modèle allemand, qui souvent exclut ou limite les grands rassemblements, chacun rejoignant son poste individuellement, sans rendez-vous préalable.

Pratiques collectives mais rassemblements limités

Plutôt que la traditionnelle poussée qu’ils privilégiaient jusqu’alors, nos voisins germaniques ont fait le choix de la battue à très grande échelle. Ainsi, un nombre important de traqueurs assistés de chiens de toutes races rabattent en une seule fois plusieurs centaines d’hectares alors que vaste enceinte est fermée par des tireurs postés. Ces derniers sont positionnés non pas en ligne, mais dispersés en divers endroits stratégiques, sur les itinéraires de refuite habituels du gibier où ils peuvent tirer en toute sécurité à 360 ° car ils n’ont pas de voisins. Charles Richter voit là une bonne alternative qui pourrait nous permettre de continuer à pratiquer des chasses collectives en limitant les contacts, donc en respectant gestes barrières et distanciation sociale.
Avec une telle organisation et des chiens souvent de petit pied qui opèrent souvent de manière un peu anarchique et ne mènent pas trop loin, le gibier, alerté par leurs récris se dérobe plus calmement encore qu’en poussée, et en silence. Il se présente donc aux postés idéalement, souvent au petit pas. Avantage de la méthode : vous effectuez un tir dans des conditions parfaites, sur des animaux arrêtés ou qui cheminent à faible allure. Le taux de réussite moyen est d’un animal prélevé pour deux balles tirées contre 6 à 7 en battue collective classique menée à cor et à cri. Si un gibier se présente trop vite, vous pouvez choisir de ne pas tirer, sachant qu’il sera intercepté plus loin. Parfois et avant même que la traque n’ait vraiment débuté, la moitié du tableau est déjà réalisée.

Apprendre à chasser autrement

D’autres chasseurs ont réfléchi à diverses solutions respectant les consignes sanitaires. Parmi ceux-ci Claude Robinet, un louvetier de l’Allier bien conscient que les mesures nécessaires ne seront pas faciles à mettre en œuvre. Le modèle de battues mis en place par les allemands ne lui est pas inconnu puisqu’il l’applique déjà, plus ou moins, pour conduire ses battues administratives dans certaines réserves. Dans ce cas, quelques chasseurs chevronnés seulement rejoignent puis gardent uniquement les postes stratégiques, correspondant aux principaux itinéraires de refuite du gibier, et qui ne sont pas forcément répartis en ligne.
Pour éviter les regroupements lors les vérifications de permis et la signature des cahiers de battue, Claude songe à la possibilité d’utiliser le smartphone avec pourquoi pas une application spécifique. Il sait que ces bouleversements dans nos habitudes, s’ils ont lieu, risquent d’être très mal vécus par nos aînés. Hélas les plus exposées et vulnérables au Covid 19, les générations de chasseurs âgés ne conçoivent pas la battue de sanglier sans sa dimension conviviale et le traditionnel casse-croûte au rendez vous de chasse. Cette nouvelle organisation reposera donc d’abord sur la pédagogie, et une communication éclairée.
Nul ne sait à ce jour comment vont évoluer la pandémie et les règles de confinement. Nous n’en sommes donc qu’au début de notre réflexion sur l’organisation future des chasses collectives du sanglier, et plus largement celles du grand gibier. Une chose est sûre, il nous faudra sans doute apprendre à chasser autrement. Ceci en sachant que notre loisir, compte-tenu de la gravité de la situation actuelle passe au second plan. Nous avons aujourd’hui d’autres préoccupations, infiniment plus graves.

Encadrés

Confinement, des animaux plus familiers

Nous avons recueilli de nombreux témoignages qui font part d’une étonnante familiarité retrouvée chez la faune sauvage suite au confinement, comportement logique du reste, les animaux peu dérangés ne faisant que se réapproprier leurs territoires. Se sentant moins menacé, le sanglier redevient ainsi plus volontiers diurne ! Responsable du service technique grand gibier à la Fédération des chasseurs de Moselle, Nicolas Braconnier cite ainsi cette vidéo tournée par un adhérent de la FDC 57, qui montre une quarantaine de sangliers de toutes tailles prendre leurs aises en pleine journée dans une vigne. Une quiétude retrouvée qui risque de ne pas être sans conséquence sur l’envolée des dégâts.

Régulation des sangliers, nouvelles mesures dans l’Yonne

De nombreux départements ont pris des arrêtés dérogatoires en période de confinement, pour limiter les dégâts de sangliers. La préfecture de l’Yonne, par exemple, a autorisé la pose de clôtures, ainsi que les tirs de destruction diurnes et nocturnes en cas de nécessité. La DDT a validé la possibilité d'intervenir entre avril et mai, à une période où la chasse est habituellement fermée dans ce département.

Des dérogations possibles pour l'agrainage et les tirs sur zones à risques

es dérogations existent aussi pour pratiquer l’agrainage en forêt destiné aux sangliers, afin d’éviter ou limiter leurs incursions en plaine. C’est le cas, entre autre, dans l’Yonne, le Jura et la Côte d’Or. Dans ce dernier département, les tirs sur sangliers sont aussi désormais possibles, sur autorisation individuelle et en cas de dégâts avérés. Ceci sous la pression des représentants agricoles de la CDCFS (Commission départementale de la chasse et de la faune sauvage), considérant que l’agrainage seul constituait une mesure incomplète. La FDC de la Côte d’or a également remis à disposition des clôtures pour les chasseurs qui doivent protéger des cultures.
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