Émanation bécassière

Par Franck Delmonteil

Bécasses et confinement Heureuse surprise

Lorsque je vous ai quitté à la fin de mon dernier article, il y a un trimestre, je pensais que la saison était lancée et qu’enfin nous allions pouvoir vivre notre passion dans de bonnes conditions. La pluie, bien présente pendant de longues journées, avait rendu les sols agréables et les bécasses semblaient vouloir être présentes en nombre.
C’est ainsi que sur le plateau de Millevaches, j’ai réalisé un de mes plus beaux début de saison. Cette campagne, n’a pas connu le « trou » que je rencontre d’habitude entre le 5 et le 20 octobre. Toutes mes sorties se sont soldées par des rencontres. Quel plaisir que de pouvoir chasser régulièrement et croiser à chaque fois des oiseaux. Une, deux ou trois bécasses se montraient à moi tous les jours et cela me remplissait de bonheur. Le 28 octobre, c’est le Président Macron qui mis un terme à cette dynamique avec l’annonce d’un second confinement sur l’ensemble du territoire national.
Dès le lendemain, une certaine cacophonie s’est mise en place dans le milieu de la chasse. Pendant plusieurs jours tout le monde se posait la question : « Ai-je le droit de chasser ? ». Sur les réseaux sociaux une foire d’empoigne occupait les internautes. Pour ma part, mon choix fut simple. Ayant la chance d’habiter au milieu des bois, j’ai décidé de sortir les chiens une heure dans un rayon d’un kilomètre et de laisser le calibre 28 dans sa housse. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir de superbes biotopes à quelques centaines de mètres seulement de la maison. Comme beaucoup, en principe le matin, je chargeais les chiens dans la voiture et je roulais un moment pour rejoindre mes places préférées. Là, étant bloqué par la situation sanitaire, je fouillais ce fameux cercle réduit et quelle jolie découverte ce fut.

Autour de la maison

Alexandra, ma compagne, a été la première à faire une très belle sortie avec cinq rencontres, le tout à moins de 700 mètres de la maison. C’est un peu comme à la pêche, cette envie irrésistible de lancer son leurre sur la berge opposée alors que bien souvent de beaux poissons se trouvent là juste devant nous, sous nos pieds. Nous n’avions jamais pris le temps de fouiller si près de notre domicile mais y étant contraints nous en avons profité et n’avons pas été déçus, au contraire.
Les chiens ont vite compris la situation et n’ont pas été longtemps surpris de ne pas monter en voiture. Ils savaient maintenant que le départ se faisait en laisse depuis la maison. Et ce n’était pas l’application ChassAdapt que nous ouvrions sur le smartphone mais celle qui permettait de remplir les attestations de sortie gouvernementales. En plein mois de novembre, je pensais surtout à tous ceux qui habitaient assez loin de leurs secteurs de chasse et qui ne pouvaient vivre leur passion. Ce second confinement ne pouvait pas plus mal tomber au niveau des dates pour les bécassiers. Pour ma part, j’avais le privilège de lâcher mes chiens à cent mètres de la maison. Nous avions une heure, il fallait en profiter. Nous prenions une piste qui remontait vers une ligne haute-tension, les chiens nous devançaient. C’est Indiana qui fut le premier à se bloquer au bord d’un tout petit ruisseau. Jet le rejoignit rapidement et se bloqua à son tour.
Au bout de trois minutes, je me rendis compte que Jet était resté sur la place. Je fis demi-tour. J’en étais à environ 100 mètres. Le chien était au même endroit, il n’avait pas bougé d’un centimètre. Concentré sur le chevreuil, je n’avais pas trop fait attention à lui. Indiana le rejoignit et se bloqua dans un patron parfait à un mètre environ. Nous nous sommes approchés. Là, à deux mètres de l’endroit où se trouvait l’animal, une belle rousse gicla au nez du chien et nous salua dans un virage à 90 degrés en nous montrant toute son envergure. Comme à chaque fois la scène nous laissa rêveurs. Il y avait 30 minutes que nous marchions, c’était la mi-temps. Nous avons alors traversé la seule route du secteur pour attaquer un biotope un peu différent. Jet cherchait à droite et Indiana à gauche. Tout à coup, il y eut un arrêt simultané. Alexandra monta vers Jet qui était à une centaine de mètres au milieu d’une mouillère. Pour ma part j’allais sur Indiana qui était en limite de sapins à environ 150 mètres.

Quatre bécasses en moins d’une heure

L’un et l’autre avions du mal à progresser dans cette zone très humide. Indiana était à l’arrêt devant deux bouleaux. Quand je suis arrivé derrière lui, il coula rapidement sur une dizaine de mètres et se figea devant la ligne de sapins qui jouxtait la zone humide. En posant les yeux au sol sur sa première position, je vis un miroir qui ne me laissa aucun doute sur la présence d’une belle à proximité. Cette dernière semblait avoir fait le choix de se cacher en bordure des grands sapins. Indiana donna l’impression d’avoir trouvé sa direction de fuite. Un duel entre un setter passionné et un magnifique oiseau, qui allait l’emporter ? La mordorée était-elle encore dans le coin ou avait-elle prit de l’avance ? Je m’approchai de mon protégé et sortis mon smartphone de ma poche.
Au moment où j’appuyais sur vidéo, la belle prit son envol, un vol rapide au milieu des branches de sapins. Je criais alors « Bécasse ! » à Alexandra qui dans les quelques secondes qui ont suivi me répondit la même chose. Nous nous sommes retrouvés en bordure d’une grande sapinière. Jet était à l’arrêt en plein milieu de la mouillère. Couché comme à son habitude, Alexandra a mis un petit moment avant de l’apercevoir. La bécasse était deux mètres devant lui, derrière une touffe d’herbes jaunes. Quatre bécasses levées en un peu moins d’une heure. Lorsque nous sommes rentrés à la maison, nous étions heureux mais frustrés. Nous pensions à la situation sanitaire et nous nous demandions si nous allions bientôt pouvoir sortir normalement en forêt, dans ce biotope qui nous permet de garder nos distances avec nos contemporains et avec la Covid 19.

Faire corps et lutter ensemble

Amateur des réseaux sociaux et essayant par ce biais de donner une image positive de la chasse, j’ai trouvé cette période particulièrement difficile. En effet, dès l’annonce du confinement et des premières mesures concernant la chasse du grand gibier, j’ai vu les chasseurs se critiquer, s’insulter, se menacer. Jalousie, manque d’information, manque d’unité entre les fédérations. Je pense que cette situation va laisser des traces et va contribuer à encore diviser un peu plus les chasseurs. Tout le contraire de ce dont nous avons besoin en ces temps difficiles où nous sommes victimes d’attaques incessantes de la part de nos opposants. Nous devons faire corps et lutter ensemble pour la défense de notre passion, la chasse avec un grand « C ».
Tout le mois de novembre nous avons ainsi fait travailler les chiens dans ces conditions. Bécasses vues au sol, pairons, nous avons dans notre petit périmètre vécu à peu près toutes les situations que nous aurions pu rencontrer en temps « normal » mais avec toutefois cette sensation d’être quasiment dans l’illégalité, avec le sentiment d’être épiés, de ne pas être libres. Enfin, à la fin novembre, nous avons été un peu libérés et avons chasser trois heures dans un rayon de 20 kilomètres. Quel plaisir, malgré cette restriction de temps et de distance, que de pouvoir arpenter les bois un peu plus loin de la maison.
Un semblant de seconde ouverture pour cette saison 2020 dans le monde bécassier. Pour ma part, j’ai vécu une belle sortie le 29 novembre avec six oiseaux différents levés sur une boucle de trois heures réalisée sur mon parcours test en période de migration. Après ces longues semaines d’entrainement pour les chiens, j’ai pris du plaisir à prélever une jeune bécasse sur un très beau travail de Jet. Le chien lors du rapport était fier comme Artaban et pour ma part, encore une fois j’étais satisfait de mes loulous qui font tous les jours de gros efforts pour nous faire plaisir.

Chanceux Sébastien

Le 2 décembre, alors que cela ne faisait que trois jours que nous pouvions de nouveau chasser à notre guise, la neige a fait son apparition sur le haut de mon secteur à 950 mètres. Un petit saupoudrage en signe d’alerte qui nous a quand même permis de sortir à une altitude inférieure. Nous en avons profité pour emmener avec nous Sébastien, un collègue d’Alexandra. Il est fils de chasseur et nous a demandé de lui faire découvrir la quête de la bécasse dont il entend souvent parler au bureau. Rendez-vous fut fixé à 10 heures. Nous l’avons équipé avec un pantalon et une veste adaptés à notre pratique puis avons pris la direction des bois. Nous l’avons prévenu qu’il n’était certain de voir un oiseau mais que nous allions tout de même essayer de partager notre passion. Or, la chance fut avec lui puisque nous avons vécu la plus belle sortie de notre saison. Les mordorées étaient là et les chiens ont tout donné pour nous faire plaisir. En trois heures Sébastien a vu s’envoler neuf bécasses. Présent sur tous les arrêts, malgré un dénivelé important, il a pu apprécier le travail des setters et comprendre cet attrait qu’a sur nous la belle des bois. Un beau moment passé sous une pluie forte qui a rapidement fait disparaitre toute trace de neige en altitude.
Mes auxiliaires canins ayant bien travaillé et mon invité ayant très envie de continuer sa découverte par une dégustation culinaire, je me suis permis de prélever deux bécasses. Sur la première, je me suis fait d’ailleurs « enguirlander » par Alexandra car pendant qu’Indiana exerçait son talent sur une bécasse piéteuse de la catégorie « Marathonienne », Jet prenait une émanation lointaine et se dirigeait vers le sommet à travers des fougères. Il montait, montait et montait encore comme aimanté par les effluves bécassiers.
Nous étions plus proches d’Indiana donc nous sommes restés derrière lui alors qu’il réussit enfin à bloquer sa bécasse sous des petits sapins très serrés. Nous n’avons entendu que les claquements d’ailes de la fuyarde à travers la végétation et avons donc décidé alors de monter sur Jet qui avait, à son tour, pris sa pose d’arrêt à presque 200 mètres dans des fougères en bordure d’un pré. Je montais par le bois avec Sébastien tandis qu’Alexandra passait par la prairie, boitier photo prêt à saisir l’instant. Pour une fois que la scène se passait dans un milieu un peu ouvert, elle voulait en profiter pour essayer de mettre la long bec dans la boite. Pendant notre ascensions, Sébastien me fit part de son envie de goûter, si cela est possible, à la chair de la bécasse.

Quelle sortie !

En arrivant près de Jet qui n’avait pas bougé depuis plusieurs minutes, j’introduis deux cartouches dans mon cal 28 et le ferme. Alors que je fis un dernier pas vers mon chien, la bécasse pris son envol et fila vers le découvert. Personne n’était dans mon axe de tir, j’épaulai et lâchai donc ma grenaille en toute sécurité. L’oiseau tomba au sol, aussitôt pris en gueule par Jet qui n’en demandait pas tant. Alexandra m’a dit alors « Tu l’as tiré au moment où j’appuyais sur le déclencheur de l’appareil photo ! ». Effectivement, sur le petit écran de contrôle, la scène était figée. Ma conjointe avait réussi à cadrer la belle au moment où ma gerbe la rattrapait dans sa fuite. Une photo qui ne fera pas la « une » de votre magazine préféré mais qui restera un bon souvenir pour nous.
Les deux bécasses récoltées étaient des jeunes dont les poids étaient remarquables pour mon secteur en période de migration, 354 et 364 grammes. A mon avis, il s’agissait d’individus dérangés par la neige sur le massif du Sancy relativement proche et qui avaient réalisé un micro-vol pour rejoindre mon coin. Cette journée, riche en émotions, a permis de faire découvrir notre pratique à un non-chasseur qui s’est fait une opinion très favorable sur notre activité qu’il a qualifié de sportive et passionnante.
Depuis cette date, les choses se sont compliquées et la neige a recouvert notre secteur. Aujourd’hui dans mon jardin une épaisse couche de 30 cm est bien conservée par les températures négatives qui se sont installées depuis le réveillon sur notre région. Je pense que pour nous, en altitude, la messe est dite et ce n’est que vers la fermeture que nous devrions pouvoir encore faire plaisir aux chiens. Cette campagne 2020-2021 s’annonçait comme excellente mais la crise sanitaire et la météo ont fait que nous avons eu une saison toute particulière entrecoupée de bons moments et de repos forcés. Espérons que les premiers mois de 2021 nous permettent de lutter efficacement contre ce satané virus et qu’enfin à l’automne prochain nous puissions vivre normalement notre passion à la poursuite de la belle des bois.
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