Paroles de puriste

Par Giovanni Mastroianni

Giovanni, bécassier calabrais setterman

Affirmer que l’auteur de cet article est un passionné de setters anglais et de bécasse est un doux euphémisme. Toute la vie de ce quinquagénaire italien tourne autour de l’élevage, la sélection et le dressage de ses chiens ainsi que de la quête suprême de la belle des bois dans les montagnes de Calabre. Lisez plutôt…
Parler de chasse à la bécasse, aujourd'hui, à l'ère des réseaux sociaux, est très facile. Chacun a son mot à dire et tout le monde se considère comme un expert. Pour certains, cette expérience n’est acquise qu’après avoir vu seulement quelques vidéos ou après avoir lu quelques articles sur le sujet. Ceci est, ces dernières années, devenu une mode, une tendance. C’est ainsi qu’une frange de chasseurs se revendique grand spécialiste du chien bécassier, notamment du setter anglais, et de la chasse de la mordorée. Mais il ne suffit pas de se déplacer dans les bois avec des instruments électroniques pendus autour du cou des auxiliaires canins et des porteurs de fusils pour en faire des bécassiers.

Chasse d’artistes

La réalité est très différente et seuls ceux qui pratiquent sérieusement cette discipline de chasse peuvent le savoir. Il faut avoir réaliser de nombreuses sorties en forêt, et avant cela avoir consacré bien davantage de temps encore à l'élevage, à la sélection et à l'entraînement des chiens pour prétendre parler en connaissance de cause de la chasse de la bécasse. Ceci nécessite énormément de passion, de dévouement, de sacrifices, d’humilité et aussi de confidentialité pour jouir d’instants privilégiés en solo ou en compagnie de quelques amis de confiance. Mais bien évidemment, nous sommes en démocratie et je ne parle ici que de ma conception personnelle de la chasse à la bécasse. Cette dernière est pour moi, par sa particularité, les émotions qu’elle me procure et le merveilleux environnement dans lequel elle se déroule, un véritable art. Et, par conséquence, elle fait de ceux qui la pratiquent dignement des artistes.
Le bécassier doit être animé par un immense amour de la nature dans son ensemble et se faire le protecteur du décor ainsi que de la faune qui y évolue. Il doit être également le gardien des valeurs éthiques de la chasse. La recherche de la bécasse nous offre cette possibilité, elle nous immerge dans un monde sauvage dont nous pouvons faire partie. Et même si notre carnier est régulièrement vide, c’est avec un cœur plein de joie et un esprit libéré des mille pensées de la vie quotidienne que nous rentrons après la chasse, heureux d'avoir appréciés le travail du chien. C’est ce dernier qui nous fait oublier de tous les efforts.
A mes yeux, le mérite de tout cela revient précisément à cette exceptionnelle race qu'est le setter anglais et à ce merveilleux "oiseau" qu'est la bécasse. La reine des tènements est restée l'une des très rares espèces vraiment sauvages. Elle est donc difficile à poursuivre et met à rude épreuve le chien et le chasseur. En raison de ces particularités, elle doit être respectée et sauvegardée dans le temps. Mais je m’arrête là de mes réflexions personnelles pour vous parler plus précisément de ma façon de concevoir le setter anglais bécassier.

Setter anglais bécassier selon Giovanni

Pour le chasseur de bécasse quasi-exclusif que je suis, le setter anglais bécassier idéal doit exprimer, à puissance maximale, les qualités intrinsèques de la race. Celles-ci sont à la fois morphologiques(standard), fonctionnelles et cynégétiques. Il doit aussi savoir gérer son intensité en fonction du relief et de la végétation. À cela, s’ajoute ingéniosité, intelligence, aptitudes naturelles pour ce type de chasse et adaptabilité aux différents biotopes. Le bon sujet sait où aller chercher l’oiseau selon qu’il travaille en forêt de montagne ou de plaine. De mon côté, je recherche l’esthétisme et la belle chasse, le beau et le bon ne nuisent pas. En revanche, les tableaux ne m’importent pas même si j’aime récolter quelques oiseaux s’ils ont été bien négociés par mes chiens. Je ne fais aucun compromis avec mes setters. Il faut qu’ils conservent intactes la condition physique et stylistique dictée par leur ADN.
Une excellente construction physique est synonyme de mouvements typiques, naturellement fluides et glissants avec un galop lâche et élégant. Ces mêmes athlètes sont dotés d'une grande résistance sur le terrain surtout s’ils exercent en montagne comme c’est le cas avec moi. Enfin, j’attends de mes protégés qu’ils soient très chasseurs. De tel auxiliaires canins s’obtiennent grâce à une sélection génétique mise en œuvre depuis de nombreuses années. Les bons gènes se transmettent alors de génération en génération.
Pour suivre la quête de mes setters, je les équipe de clochettes artisanales traditionnelles. La seule transgression technologique que je m’accorde est un bip électronique qui est uniquement réglé sur le mode « arrêt ». Mes chiens sont conditionnés pour travailler entre 200 et 300 mètres de moi. Cette prise de terrain est parfaite dans les massifs de hêtres et de pins. Ce qui m’importe surtout, c’est de garder toujours une audibilité des campanes pour savoir où sont mes compagnons à quatre pattes entre chacun de leurs retours à mon contact, et ce sans être obligé d’user de rappels intempestifs qui sont toujours déconseillés quand on chasse la bécasse. La quête doit toujours être menée à un rythme soutenu et constant. De plus, je bannis le travail géométrique qui est synonyme d'une recherche schématisée qui ne laisse aucune initiative aux chiens. Les déplacements de mes setters anglais sont basés sur l’ingéniosité, l’initiative, l’intelligence et surtout, après quelques années de pratique, sur l’expérience.

Sélection rigoureuse

Je vais à la bécasse depuis que je suis enfant. Durant toutes ces années, j’ai observé que les chiens qui débutent tôt sur mordorées renforcent leurs prédispositions au bois et se donnent davantage pour trouver des oiseaux. Ces éléments travaillent avec leur tête avant d’utiliser leurs pattes. Ils ont une quête ample et rationnelle. Ils sont aussi très vaillants par tous les temps et dans tous les types de biotopes à bécasses.
Ma sélection des setters anglais se fait de manière très simple et spartiate. Étant totalement amateur, je possède très peu d’éléments mais ils correspondent tous à mes critères immuables que sont le standard, les capacités physiques, la passion de la chasse. Ils sont tous aussi exempts de défauts telle la dysplasie ou le prognathisme. Je travaille là-dessus depuis plus de 20 ans. J’ai effectué maints essais pour obtenir une lignée qui répond point par point à mes attentes de bécassier exigeant. Les chiots nés chez moi sont testés à partir de l’âge de 8 à 10 mois sur tous les terrains et par tous les temps. Ce n'est que s'ils réussissent ces épreuves de sélection qu’ils sont pris en considération et par conséquent mis, également plus tard, en reproduction.
Mais avant de procéder aux essais de l’un de mes setters, je le laisse grandir, s’épanouir, courir, jouer en paix. En deçà de 8 à 10 mois les efforts excessifs doivent être évités car cette période est une phase délicate de la croissance du chiot. Trop de gens imposent à des pupilles, dès l’âge de 4 à 5 mois, des exercices lourds qui leur font porter de mauvais jugements sur leurs animaux. Certains croient posséder des phénomènes et d’autres des tocards alors qu’il est trop prématuré pour se prononcer, sans compter que ces séances peuvent blesser un futur chasseur de façon rédhibitoire.

Bases du dressage

Je n’ai pas de technique particulière d’éducation et de dressage. Je me contente d’appliquer une méthode traditionnelle qui a fait ses preuves depuis longtemps. Je me satisfais donc de vous les répéter. Il existe en fait plein de choses à faire avec un jeune chien avant de le faire travailler sérieusement. Ceci commence par lui apprendre son nom un peu avant la fin du sevrage. Il faut aussi lui expliquer les règles de vie au chenil ou à la maison. Ensuite, en jouant, il faut entamer progressivement, une à deux fois par jour, les séances de rapport, d’abord avec un jouet puis avec une dépouille de caille, après de perdrix et enfin de bécasse. Ces exercices doivent être ludiques et non forcés. Vient ensuite l’apprentissage de la marche en laisse et celui de la montée en voiture. Le temps d’assimiler tout cela et l’élève atteint ses 8 à 10 mois.
Le moment est alors venu des premières mises en présence sur cailles d’élevage afin d’observer les aptitudes du chien. Pour cela, je l’entraine sur des terrains vastes, enherbés, dépourvus d’obstacles, sur lesquels je dépose deux ou trois oiseaux bien volants sans la présence de l’élève. Ce dernier est ensuite amené à bon vent sur le terrain et affranchi loin des points de lâchers. Dès lors, je marche en sa compagnie tranquillement vers les volatiles en observant ses réactions. Lorsque le setter arrive près de la caille, les comportements peuvent être différents d’un auxiliaire à l’autre à la prise d’émanation ou à la vue. Soit il y a charge pour faire voler et chasser le gibier, soit il marque un court arrêt suivi d’une charge et d’une poursuite, soit il arrête fermement. Dans les deux premiers cas, il faut parvenir à stopper la débandade et reprendre au fil des jours de travail jusqu’à l’obtention du blocage. Quand ceci est bien acquis, je remonte à hauteur du chien et fais décoller moi-même la caille. Je laisse alors le setter courir sous l’aile et réalise, après quelques séances, un tir à blanc en simultané afin de mesurer la réaction au coup de feu.
L’étape suivante consiste à tester la connexion du chiot avec son conducteur. Pour ce faire, je l’emmène dans les bois et attends que sa curiosité l’emmène assez loin de moi afin que je sorte de son champ de vision. A partir de ce moment-là, je me cache et attends sa réaction. Selon les cas, le sujet s'arrête et commence à aboyer pour attirer mon attention. C’est un signe positif, cela signifie qu'il me cherche. Il peut aussi se mettre à courir comme un fou à la recherche du chemin qui le mène à moi. Ceci est un autre comportement positif. Enfin, dans la dernière hypothèse, le chien se sert de sa puissance olfactive et remonte jusqu’à l’endroit précis de ma cachette. La méthode est excellente, elle indique un lien naturel et instinctif à revenir au contact. Le reste de la formation du setter anglais se fera au fil des sorties derrière les bécasses. Plus elles seront nombreuses, plus l’élève progressera vite et développera ses qualités de bécassier. Nous en reparlerons.

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